La fête de Noël reste l’une des fêtes les plus populaires de notre culture française (et sans doute même européenne et occidentale). C’est étonnant. On aurait pu penser qu’avec l’effacement de la mémoire chrétienne chez un grand nombre de nos contemporains, avec l’oubli du sens religieux de l’événement, et avec sa dérive consumériste, cette fête perde de son éclat. Hé bien non ! Et c’est tant mieux. Si elle résiste ainsi, c’est que Noël est inscrit, dans nos mémoires individuelles et collectives, comme la fête par excellence de la famille.

Or la famille, (et la famille réelle, avec ses grandeurs, mais aussi ses petitesses et ses blessures), reste en tête de tous les sondages d’opinions. Selon un sondage de l’Ifop paru en 2017, 91% des français jugent que la famille constitue le premier lieu de solidarité, et 89% qu’elle est le principal amortisseur social. C’est aussi une institution qu’il ne faut pas saper : 71% des Français estiment que la politique fiscale de ces dernières années pénalise fortement les familles.

Je me pose une question : ne pourrait-on pas lire la crise de société manifestée par le mouvement des « Gilets Jaunes », à l’aune de cette réalité familiale ? N’y aurait-il pas une réflexion à mener sur la place centrale de la vie quotidienne des familles – et je dis bien la vie quotidienne, pas simplement la famille abstraite comme valeur à protéger ou variable économique – dans un projet de société à rebâtir ensemble ? C’est en tout cas, un des grands axes de la Doctrine Sociale de l’Eglise. Et celle-ci peut nous servir de balise pour guider nos jugements sur les événements que nous vivons. L’Eglise insiste sur « la reconnaissance, par les institutions civiles et par l’État, de la priorité de la famille sur toute autre communauté et sur la réalité même de l’État. ». Cette reconnaissance « comporte le dépassement des conceptions purement individualistes (…) Car les personnes ne doivent pas seulement être considérées individuellement, mais aussi en relation avec les cellules familiales dans lesquelles elles sont insérées. » (Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église n°254)

L’économiste Pierre-Yves Gomez, écrivait ces jours-ci : « Pourquoi porte-t-on un gilet jaune ? Pour se rendre visible à ceux qui circulent dans la nuit et pourraient ne pas nous voir, pour leur réclamer donc la vigilance qu’exigent notre sécurité et peut-être notre survie.» (Site Aleteïa 3 décembre 2018).  Il me semble que ce qui est resté invisible aux yeux de nos gouvernements successifs, c’est la vie quotidienne des familles, et tout spécialement des familles de cette « France périphérique » dont nos communes rurales font partie. Nos dirigeants sont pétris d’une vision libérale de la société, fondée non pas sur les communautés naturelles que sont les familles, « cellules de base de la société », mais sur une masse d’individus isolés nouant entre eux des relations contractuelles prioritairement économiques.

Le mouvement des « Gilets Jaunes » s’inscrit dans un mouvement plus vaste de rejet spontané d’un système néo-libéral en voie d’épuisement. C’est notamment ce que pense le philosophe chrétien Henri Hude : « Nous arrivons en ce moment au bout de l’exercice néolibéral, qui succombe sous la coalition de tous ceux qu’il n’a pas assez respectés. Il a abouti à vider la démocratie politique de la plus grande part de son contenu, puisque la politique des États est déterminée à 90% par les marchés, les traités, les juges et les organisations internationales. Les inégalités se sont énormément accrues entre les bénéficiaires et les perdants de l’économie néolibérale. Et tout simplement, malgré l’énormité du déficit et des dépenses publiques (financés par la dette, c’est-à-dire par nos enfants), une masse de gens n’arrivent plus à joindre les deux bouts. »  (Site Aleteïa 8 décembre 2018).

De son côté, Jean Claude Guillebaud, dans La Vie du 12 novembre 2018, écrit ceci :  « On a l’impression,  que les affaires du monde sont maintenant prises en charge par une élite internationaliste, médiatique, vaguement arrogante, qui a fait de la « modernité » son credo et du commerce international son souci. Les élites qui expriment cette nouvelle vulgate se trouvent en effet coupées du peuple, oublieuses des petits, des exclus, des retardataires.»

Ce que ne voient pas la plupart de nos élites nationales, peut-être parce qu’elles n’en ont pas l’expérience, c’est la réalité quotidienne des familles « ordinaires ». Cette semaine, j’ai reçu un message d’un agriculteur me faisant part de son angoisse : les primes PAC tardent à arriver, et la banque ne veut pas prêter de quoi faire la jointure; à l’augmentation de l’essence, s’ajoutent les factures qui elles aussi ne cessent d’augmenter; à cause de la sécheresse, les stocks de foin ont été entamés plus tôt que d’habitude, et la récolte de céréales n’a pas été très bonne. Derrière ces inquiétudes matérielles et financières, en fait, il y en a une autre, plus fondamentale : comment faire vivre ma famille, payer les études supérieures des plus grands, pouvoir donner un peu de loisirs aux plus jeunes etc … ? Ce qui est en jeu, c’est bien la famille, son équilibre, son bonheur, en un mot sa vie.

On pourra objecter que la situation des familles les plus modestes en France est encore nettement plus élevée que celle des familles de la plupart des pays pauvres du monde. Et donc, qu’il serait bon de relativiser quelque peu nos problèmes hexagonaux.  C’est exact ! Et de ce point de vue, les revendications actuelles autour du pouvoir d’achat n’échappent pas toujours aux mirages d’une société consumériste. Mais ce problème du pouvoir d’achat, contrairement à ce que nous serinent les médias, n’est pas la première préoccupation des Français. Encore une fois, par derrière cette préoccupation matérielle, il me semble qu’il y en a une autre, plus spirituellement incarnée, plus profondément enracinée dans nos cœurs :  celle de l’avenir et de la vie quotidienne de nos familles.

Un problème de logement, une naissance dans un endroit bien précaire, une situation politique à haut risque qui oblige à émigrer : le premier Noël du monde n’a pas été de tout repos pour la sainte famille ! Mais entre Marie, Joseph et Jésus, quelle qualité d’amour ! Un amour puisé dans le cœur du Père, source de toute fraternité.

A tous, bonne fin d’Avent, et bonne fête de Noël, en famille et en paroisse.

Patrice Éon+

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